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Le monde d’après
Par Hugo
Le monde d’après n’adviendra pas. Et pour cause, lui qui tient tout entier dans un slogan publicitaire, un phrasé creux, et dont il n’a jamais été question de faire une description un tant soi peu politique. Et pourtant, en un sens, la promesse du monde d’après est paradoxalement tenue. Le monde, votre monde, a changé depuis un an et demi.
Les masques vous ont été imposés au moment où celui des détenteurs du pouvoir tombaient. On vous fait comprendre qu’il va falloir abandonner l’illusion d’être le propriétaire de votre corps, lorsque ce n’est plus que le corps social qui compte. On vous fait cadeau de retourner perdre votre vie au travail pour des nèfles, lorsque la concentration accrue des richesses rend d’autant plus difficile toute idée de redistribution. On réorganise immédiatement la course de petits chevaux électorale alors qu’on a déja évacué toute idée démocratique. On parle de guerre (une de plus, peut être va t-il falloir admettre que l’état de fait anormal est celui où nous ne sommes pas en crise) pour exalter une prétendue victoire collective sur cet « ennemi » implacable, qui nous assiégeait de tout côté. On invente un autre slogan publicitaire « vivre avec le virus », qui ne vous vend rien d’autre que le produit « ferme ta gueule et bosse ».
Evidemment, qu’on se rassure, tout cela est temporaire. Tout cela est un cauchemar, une « crise », donc un moment hors du temps, une exception, une aberration, comme s’il était possible d’en définir séquentiellement un début et une fin. On « entre » dans la crise, et on en « sort ». Bientôt, le plus vite possible espérez vous, « la période covid » ne sera plus qu’un objet de commémoration, une pensée annuelle pour ceux qui n’y auront pas survécu, et basta.
Sauf qu’on vous a déjà fait le coup. Et tout comme les militaires sont restés dans les gares, il faudra bien admettre qu’il reste quelque chose des mesures mises en place pendant la crise sanitaire. Comme, au hasard, la possibilité d’assigner les corps à résidence. La possibilité de casser le secret médical. La possibilité pour l’employeur de choisir les congés de ses employés.
Non, la « crise » sanitaire n’est pas une parenthèse dans le fonctionnement de notre société. Elle n’est que le prolongement logique, peut être même souhaitable pour certains, d’un état de fait qui y préexistait. Les mesures politiques et outils de contrôle social qui ont été introduits sont dans la directe continuité de ce qu’on nous a fait accepté depuis longtemps déjà. Et on n’y renoncera pas. Mais finalement, où est le problème ? Nous sommes en démocratie, n’est ce pas ? Tout cela n’a été introduit que pour votre bien. Et tout comme on vous a expliqué à coup de marteau-pilon libéral que la survie de notre modèle social passait par une austérité sévère, une généralisation du travail précaire, et un impératif de « flexibilité », bref, que la fête était finie, on en vient maintenant assez naturellement à l’idée que la sauvegarde de votre vie devra passer par un rétrécissement drastique de votre liberté de mouvement et de contrôle sur votre propre corps. En un mot, l’austérité sociale après l’austérité économique.
Vous vous êtes fait baiser. Et grand bien vous en fasse. Là où le bât blesse, c’est qu’il ne suffisait pas de vous baiser vous, qui n’y trouvez rien à redire. Il fallait que tout le monde y passe, sans quoi la violence du processus aurait immédiatement sauté aux yeux. Alors on a réussi le tour de force de faire croire que personne ne perdait rien, puisque tout le monde perdait tout, en égale mesure. Ce qui serait comique si ce n’était pas à pleurer.
On a traité avec un signe d’égalité les morts de maladie et les suicides, en escamotant habilement le fait que les premiers succombaient à un virus naturel quand les seconds se voyaient réduits à en finir suite à des décisions humaines et politiques. « C’est le virus », vous dit-on. Mais non, ce n’est pas le virus qui a jeté des hordes d’étudiants sur le trottoir de l’aide alimentaire, qui a amené dans un désespoir profond vos voisins, qui vous a empêché de faire le deuil de vos morts, qui vous a amené à ne plus voir votre prochain que comme un porteur de mort. C’est une volonté politique, un jeu de mesure de pouvoir, et des discours.
Evacuons d’emblée une question qui pourrait porter préjudice à la compréhension de ce texte. Le piège est grossier, et je me désole de me sentir obligé d’en commencer par là. Mais l’ignorer superbement pourrait conduire à me discréditer dès la lecture de l’introduction. Vous le sentez, vous en flairez la trace, par l’utilisation du « on ». Par l’absence d’un sujet explicitable qui y est rattaché.
Complotisme, le mot est lâché. Et je pourrai tartiner des pages et des pages, partir dans toutes les directions possibles ou au contraire organiser l’exposé de manière impeccable que ce serait en pure perte. Poubelle. Drapé dans votre bonne foi, vous auriez toute latitude pour évacuer tout fond, tout contradictoire, toute ébauche de réflexion. On ne transige pas avec le complotisme, et moins encore avec le complotiste. On le range avec tout ce que le genre humain compte de moins fréquentable, de plus méprisable. Bien sur, pas besoin de le définir, d’expliquer en quoi et dans quelle mesure ses propos ne sont qu’inepties.
Car le complotisme, c’est dangereux. Ca tue la démocratie, quand bien même celle ci se réduit à choisir entre deux bourgeois, farouchement opposés, sauf sur l’essentiel, une fois tous les cinq ans. Ca sape la confiance qu’à l’individu en sa classe politique, quand bien même celle ci s’incarne dans des concours d’anecdotes affligeants. Ca brouille l’information véritable, quand bien même l’exercice médiatique ne consiste plus qu’à faire commenter les faits les plus insignifiants par des experts dont on sait à l’avance ce qu’ils vont en dire.
L’accusation de complotisme, c’est l’anathème parfaite parce qu’universelle. Elle est né de la mort de sa grande sœur, la disqualification par l’extrême droite. Souvenez vous, il n’y a pas si longtemps, le même ressort était à l’oeuvre, dès l’instant où on vous soupçonnait de voter FN. Mais à force d’être utilisée, elle s’est usée. Le complotiste a remplacé le facho, parce qu’il est moins aisé de mépriser 30 % des français que 5 %. Pédophile, ça marche aussi, mieux peut être, mais c’est plus compromettant. Il faudrait s’attacher à le démontrer, à en trouver des preuves tangibles, et éventuellement en payer le prix en cas d’erreur.
Autant de difficultés évacuées dans le cas du complotisme. Ainsi, on a pu voir des journaux oh combien sérieux disqualifier d’emblée toute remise en cause de l’origine parfaitement naturelle du coronavirus, en émettant l’idée, au hasard, qu’il puisse s’agir d’une création artificielle, par exemple, d’un laboratoire chinois. Complotisme. On aurait raisonnablement pu penser que, ne serait ce que par honnêteté intellectuelle minimale, ces mêmes journaux s’interrogeraient sur leurs méthodes de disqualification lorsqu’il s’avéra que la piste du labo chinois était en fin de compte plausible. Mais non. A l’inverse, cela ne les gêna pas le moins du monde que l’enquête américaine portant sur l’ingérence russe lors de l’élection de Donald Trump débouche sur un démenti de ce scénario alors que cela avait été présenté comme un fait indubitable à longueur de colonne.
On doit donc en déduire qu’il y a un complotisme qui est erreur ou approximation, et un autre qui est danger, immondice. Et parfois, il arrive même que le complotisme d’hier soit l’information d’aujourd’hui.
L’autre avantage de l’accusation de complotisme, outre qu’elle se passe à peu près de toute justification construite, est qu’elle interdit toute mesure. Ainsi de la construction du groupe des « anti vax », dont on se foutra bien de savoir ce qui amène chaque individu à remettre en cause la vaccination. Il aura suffit de réduire une multiplicité de motivations à une seule, si possible la plus délirante, en l’occurrence la croyance que le vaccin est livré avec une puce 5G cachée, censée permettre le traçage de chaque individu. Joli travail, puisque cela permet d’évacuer d’un même coup la moindre réflexion critique sur la politique vaccinale, l’utilité de la technologie 5G et les inquiétudes que peuvent susciter les moyens toujours plus perfectionnés de traçabilité des corps. Trois sujets hautement politiques dont on fera l’économie d’une discussion contradictoire pour le prix d’un groupe repoussoir, qui dit mieux ?
Je voudrais insister encore une fois sur le fait que ces pratiques ne sont absolument pas nouvelles et que je ne prétends pas réinventer la poudre en pointant cet exemple du doigt. La méthode est au point, seul change le qualificatif.
Que quiconque s’avise d’interroger ce qu’à encore de « démocratique » le fonctionnement de notre système politique et on le suspectera d’accointance avec l’extrême droite (sans aller jusqu’à suggérer que le FN, puis le RN puisse être interdit, puisqu’il constituerait un tel danger pour la démocratie). Plus personne ne s’étonne qu’un candidat aux élections régionales puisse avoir comme seul programme de « faire barrage au RN », cela vaut projet politique. Evidemment, comme cet anathème est, comme je l’ai dit, usé jusqu’à la corde, et qu’on sent la panique de ses utilisateurs devant le peu de réactions qu’il suscite dorénavant, on a varié un peu les plaisirs en invoquant un supposé parallélisme, l’extrême gauche. Non plus extrême d’ailleurs, mais ultra. Gageons que l’ultra gauche a de beaux jours devant elle, jusqu’au prochain glissement sémantique qui redonnera de la force au repoussoir.
Et lorsque l’étiquette politique seule ne peut rassembler assez d’ignominie pour sidérer l’interlocuteur, reste à créer de nouveaux groupes.
Ainsi des manifestations massives qui eurent lieu au moment de la discussion parlementaire sur le projet de mariage pour tous. Nous fut présentée, au détour d’un micro trottoir, une bourgeoise parisienne objectivement insupportable qui parlait de contre nature, étant entendu que sa mise en avant médiatique devait au plus pur hasard, et suivant qu’elle ne pouvait être que représentative du groupe. Une admirable enquête journalistique et sociologique rondement menée par l’élite des reporters de Quotidien. A partir de là, il n’était plus question de savoir ou même de s’intéresser aux différentes raisons qui pouvaient pousser un si grand nombre d’individus très différents à remettre en cause le projet, puisqu’il ne s’agissait somme toute que d’homophobes intégristes.
Et pour finir, lorsqu’il devient difficile de vouer aux gémonies un groupe qui ne présente pas de caractéristiques réductibles plausibles, un effort d’imagination suffit. L’islamogauchisme était né. La boucle est bouclée, le RN réutilisant à son compte la bonne vieille méthode bien rodée que le parti a passé son temps à dénoncer (à raison) lorsqu’il en était victime.
Résultat, comme chacun (ou tout du moins une part croissante des électeurs, pour moins m’avancer) perçoit le vide politique vertigineux, l’incapacité à proposer la moindre alternative désirable, la charogne pourrissante totalement vidée de substance vitale qu’on appelle encore en se gargarisant tant « démocratie », que ces manœuvres cherchent vainement à cacher, il fallait inventer les complotistes.
I] Infantilisation
La première chose que j’ai compris dès lors que nous étions « entré » dans la crise sanitaire, c’est à dire à compter du moment où nos gouvernants firent marche arrière de manière spectaculaire, après de multiples tentatives pour nous faire croire que tout allait bien, et que tel le nuage de Tchernobyl, le virus serait en incapacité de passer les frontières de notre territoire, c’est que nous serions traités comme des enfants. Et même pas des enfants intelligents, auxquels leurs parents expliqueraient le sens des décisions où nous serions partie prenante, mais bien plutôt des enfants débiles, tellement cons qu’il aurait été impensable que nous comprenions les enjeux sanitaires à venir, sans même parler d’imaginer que nous aurions pu adapter en notre âme et conscience nos comportements en fonction de nos situations particulières.
Non, nous fûmes traités comme une colonie de vacances turbulente, dont on sait qu’il ne faut pas attendre grand-chose d’autre que du désordre et la transgression systématique de la moindre règle. Alors on nous a puni et renvoyé chacun dans notre chambre. En occultant au passage, mais nous n’en étions plus là, que certains dorment dans une grande chambre avec salle de jeu quand d’autres dorment dans un placard. L’analogie s’arrête là, parce que la réaction d’un enfant à un ordre si manifestement injuste et brutal aurait été la colère, le refus et la transgression.
Alors que pas plus de quelques jours auparavant, nos gouvernants accumulaient les gages de confiance, nous enjoignant à aller savourer des pièces de théâtre, brutalement, la situation était grave. Et même mortelle. Je crois utile de préciser à ce stade que je ne compte pas remettre en cause le fond de l’affaire, à savoir la tension extrême des capacités d’accueil hospitalières due aux malades effectivement traités en réanimation. Mon propos n’est pas là. Il est dans l’examen des discours tous plus abêtissant les uns que les autres, visant à légitimer l’hypothèse de travail initiale, jamais énoncé en tant que tel, mais dont il est impossible de douter qu’elle ait servi de base à la gestion politique en temps de covid : La société est au pire constitué d’abrutis incapables de comprendre leur intérêt, au mieux de gamins capricieux et immatures.
Mais il va de soi que cette vision des êtres humains, hautement méprisante et profondément insultante pour quiconque prétend à un minimum de dignité et d’estime de soi, devait absolument être cachée et légitimée d’une façon tolérable.
Et sans surprise, la machinerie se mit à vomir des kilomètres de discours exaltant notre peur et notre culpabilité.
Notre président nous annonça gravement que nous étions en guerre. Le message se voulait clair : chacun d’entre nous devait devenir dès cet instant un brave petit soldat, obéissant diligemment à des ordres qu’il ne serait pas nécessaire d’expliquer. On nous avertit qu’il faudrait faire des « efforts », terme monstrueusement euphémisé lorsqu’il fallait entendre « suspendre toute sociabilisation ». En un discours, tous les français étaient passés à la conscription. On réactivait la nation sacrée, et chacun était prié, mais il fallait comprendre forcé, de faire corps avec le groupe. A la différence que dans cette guerre là, de façon totalement absurde, le combat consisterait à rester seul. Sans quoi vous risquiez d’y passer, ou, à minima de tuer tout un tas de gens. Et qu’on se comprenne bien, les morts ne seraient pas dus à un phénomène malheureux mais naturel, à l’œuvre depuis que l’humanité existe, et qui dans le cas des 20000 morts annuels de la grippe saisonnière se révélaient parfaitement acceptable et n’émouvaient à peu près personne, mais bien à votre négligence. Vous les tuerez. Et enfin, cerise sur le gâteau de merde du mensonge, on n’en prendrait que pour deux semaines. Oui oui, ce virus si terrible qu’il déclenchait une guerre mondiale et justifiait que vos libertés disparaissent presque entièrement d’un claquement de doigt, il serait vaincu en deux semaines. A moins bien sur, devions nous comprendre en creux, que des ennemis de l’intérieur sabotent l’admirable sacrifice de tous.
L’imposture devait se révéler énorme. Contrairement à ce que notre président tout boursouflé de la stature qu’il s’était donné de « chef de guerre » annonçait, il fut vite évident que l’ennemi terrible et invisible n’attaquait que très sélectivement. La part de la population qui risquait sa peau était en fin de compte tout à fait minoritaire. Ce qui, j’en conviens, n’en rendait pas moins réel un risque de saturation des services de réanimation, mais qui battait quand même quelque peu en brèche l’idée que le danger était omniprésent, universel et risquait de tomber sur chacun, en permanence. Cette donnée prise en compte, on aurait pu s’attacher à élaborer des politiques visant à protéger spécifiquement les personnes « à risque », ce qui aurait eu l’avantage évident de rendre leur liberté à tous les autres.
Mais cela aurait nécessité à nos gouvernants d’admettre qu’ils étaient allé un peu vite en besogne, et qu’il était possible qu’ils se soient trompés. Or de mea culpa, il n’en était évidemment pas question. Et il n’en sera d’ailleurs jamais. Drapés dans la posture inquiétante de l’autorité parentale, les détenteurs du pouvoir imposèrent un glissement de responsabilité tout à fait clair vers la progéniture indisciplinée que nous sommes. Et de façon tristement évidente, on nous dit, les quinze jours passés, que la guerre n’était pas finie. Pas que les mesures prises soient absurdes ou inefficaces, évidemment non, simplement les enfants n’avaient pas été assez sages, n’avaient pas assez obéis, avaient cru pouvoir, de façon insolente, aller voir les gens qu’ils aimaient pour se rassurer, exiger d’accompagner leurs proches mourants, voir même se réunir pour tenter de réfléchir au monde qui nous était imposé. Le ton était donné : Les parents n’avaient jamais, n’ont jamais, et n’auront jamais tort. C’est de la faute des enfants, donc votre faute. Le postulat était posé en dépit de tout bon sens, tant il semble évident qu’une politique pouvant être battu en brèche dans les effets recherchés par l’agissement d’une minorité est, par définition, une politique inefficace et à revoir. Même en admettant, ce qui est loin d’être mon cas, que la seule entrave au confinement tenait dans le rassemblement de cent fêtards en pleine campagne, ou dans la légitime aspiration à quelques personnes à sortir quelques heures de chez eux pour aller à la plage, la seule réaction censée aurait du être d’inventer autre chose.
Mais nous touchons ici au point le plus sensible et peut être le plus dissimulé de tout cela. Nos gouvernants n’avaient strictement rien à nous proposer. Ils ont tout bonnement été incapable de rien inventer. Car finalement, une question me vient à ce stade. Qu’ont-ils fait ? Qu’ont-ils organisé ? A l’erreur préliminaire, contenue toute entière dans la continuité de leur politique libérale, aboutissant à un système hospitalier anémié et incapable de tenir le choc d’une situation certes inédite, qu’ont-ils répondus ? Que ce n’était pas le moment d’en parler (un an et demi plus tard, le moment n’est toujours pas arrivé, comme c’est commode), le temps étant celui de l’action et de l’unité. Mais quelle action ? Les soignants hospitaliers sont allés au turbin mal équipés, sans protection, et il semblait aller de soi qu’ils aillent se tuer à la tâche pour l’amour de l’art. On en attendait pas moins d’eux n’est ce pas ? Même les plus pitoyables initiatives, qui jetaient une lumière on ne peut plus crûe sur l’état de misère incroyable qui régnait là bas furent du fait des soignants, qui appelèrent leurs concitoyens à leur apporter des sacs poubelles pour faire office de blouse. Au même moment, le ministre de la santé compte les morts (de manière efficace et ordonnée, je ne peux pas lui enlever) et nous encourage à applaudir la chair à canon hospitalière.
De multiples petites mains s’organisent pour élaborer, coudre, fabriquer des masques, à leurs frais, bravement. Au même moment la porte parole du gouvernement fait insulte à la plus élémentaire des intelligences en signifiant que les masques ne servent au mieux à rien, au pire ajoutent au danger. Les gesticulations parfaitement dérisoires de tous ceux qui voudraient se voir en « chef de guerre » ne servent qu’à cacher leur inaction et pire, leur absence totale d’ébauche d’idée. Encore une fois, le problème c’est vous les troufions, que voudriez vous qu’on y fasse si vous n’acceptez pas qu’il faut renoncer à vivre en société ? Puisque l’imaginaire militaire était si cher à notre président, quel impossibilité y avait-il a mobiliser l’armée pour, au pif, organiser la livraison des denrées alimentaires aux personnes âgés, puisqu’apparemment le danger se situait dans le fait qu’ils puissent croiser des porteurs sains qui eux ne risquaient rien ? Je ne dis pas qu’une idée de cette nature aurait été décisivement efficace ou évidente à mettre en place. Mais enfin, on aurait vu l’ébauche d’une organisation collective. Ils n’en ont même pas eu l’idée.
Une idée, ils en ont eu une seule, et je m’en voudrais de ne pas leur rendre cet honneur, si seulement elle n’avait pas été d’un ridicule achevé et symptomatique d’un mépris difficilement soutenable. L’attestation. L’attestation, dont on se demandera bien quelle utilité elle peut avoir, mais qui comme le reste, se passera d’explication. Qu’importe, dans les faits, d’être en mesure de présenter un bout de papier au lieu de simplement le déclarer au gendarme chargé d’un contrôle ? On ne le saura pas. Si l’utilité pratique d’un tel dispositif paraît nulle, elle semble en revanche toute indiquée pour rappeler une fois de plus à tout un chacun que nous ne sommes que des gosses, et qu’il ne faudrait pas oublier dans quel cadre très précis nous sommes autorisé à lever la punition. Pour le dire autrement, la seule justification que je puisse trouver en toute bonne foi à cette mesure absurde est qu’étant entendu qu’il était impossible de mettre un flic en planton devant la porte d’entrée de chaque foyer (l’auraient ils fait si cela avait été possible ?), chacun devait être son propre policier. Et examiner sérieusement les raisons qu’on aurait à vouloir sortir de chez nous. Peut être à ce moment, stylo en main, on réaliserait dans un flash de conscience bienheureuse que notre décision, pour quelque raison que ce soit, n’était finalement pas si importante.
Mais je persifle, je dois l’admettre, car cette idée en préfigurait en fait une autre. Puisque ce bout de papier n’était quand même pas si pratique (et n’avait aucune utilité pour « combattre » l’épidémie, mais de cela, aucun mot), pourquoi ne pas la dématérialiser et la rendre disponible en permanence numériquement ? Ca ne la rendra pas plus utile, mais ça présentera l’avantage de pouvoir vérifier l’heure à laquelle vous l’avez remplie. Car oui, ils y avaient de vils tricheurs, toujours les même saboteurs, qui s’amusaient à ne pas la remplir correctement. Et dans la foulée, après vous avoir laissé le temps de vous habituer, inclusion dans une application qui, elle, a toute latitude de vous tracer géographiquement, pour votre bien s’entend, puisqu’elle vous permet de savoir en temps réel si vous avez été au contact de malades. Comme chacun sait, l’outil était tellement mal branlé qu’il ne servit à rien non plus. Et nous assistions, médusés, au mépris de tout rapport dialectique qui vise à faire correspondre mots et réalité, au spectacle hallucinant de notre président annoncer que toute cette débauche de technicité dépensée en pure perte n’avait « pas été un échec ». Et les mots cessèrent de faire sens, sacrifiés sur l’autel de l’incapacité total qu’ils auront à admettre la moindre erreur de jugement, la moindre erreur tout court.
Alors ce gouvernement, réutilisant les ingrédients qui ont fait son succès et somme toute ce qu’ils savent faire le mieux, c’est à dire taper sur la gueule de gens désespérés, a mis en place des amendes, puisqu’il fallait absolument imposer l’idée que l’échec complet de la seule mesure qu’ils ont pu imaginer était dû aux désobéissants. Et avec une nausée croissante, j’ai vu le ministre garant de l’ordre publique (et dorénavant il fallait l’entendre au sens large, puisque votre simple présence dans l’espace publique constituait déjà un désordre) annoncer tout content de lui le nombre d’interpellations quotidiennes. Manifestement, nous étions invités à nous réjouir avec lui, ce qui est étrange considérant qu’il était question de délinquants dont la faute se réduisait, en tout et pour tout, à essayer d’organiser une vie à peu près supportable.
Évidemment, le ballet du décompte des ennemis de l’intérieur obéissaient à deux objectifs tacites, que chacun avait intérêt à intérioriser sans délais. Un, masquer l’inanité d’enfermer durablement et sans aucun recours tout un chacun, en désignant des coupables d’autant plus facilement qu’il ne sera jamais interrogé les raisons (forcément frivoles et égoïstes) qui les pousseront à risquer l’opprobre et le racket. Deux, et c’est là le point crucial, réactiver systématiquement la peur d’une contamination fatale, en liant sans respect pour le moindre principe de causalité le nombre de contrevenant aux données chiffrées de saturation hospitalière. Le randonneur sentant le besoin de sortir d’une atmosphère sans cesse plus étouffante partant jouir du réveil de la nature ? Un mort à l’hopital. L’amoureux qui n’a pas la chance (ou la malchance, selon le point de vue) d’habiter avec l’objet de son désir et qui prendrait le risque insensé de le rejoindre pour pleurer dans ses bras ? 3 places bloqués en réanimation, places qui auraient pu sauver vos grand parents. L’individu ayant ingurgité tous ces discours lui promettant la mort imminente de ses parents, et qui voudraient profiter du temps qu’il pourrait lui rester avec eux ? Coupable de la mort des parents de son voisin. Conclusion : Ferme ta gueule, obéis, au pire suicide toi, et tout ira pour le mieux. Enfin non, ça n’empêchera en rien les hôpitaux d’arriver quand même au point de saturation tant redouté, le circuit de santé quotidien de se mettre à l’arrêt et vos vieux de crever comme des chiens, seuls et abandonnés de leurs proches, mais en toute hypothèse, ça n’aurait pu être que pire, non ? Non ?
Maintenant que j’ai dit tout ça, je vous vois venir. Pourquoi ? Peut être ai-je pu vous donner l’impression, en refusant de souscrire à un schéma justificateur de l’action de nos gouvernants, voulant qu’ils aient pris « des décision difficiles », que « personne n’était préparé à la situation », que « cela a été partout pareil », ou encore le fameux « on a jamais vu un gouvernement aussi social », concernant la mise en place du chômage partiel, que toute cette situation n’était jamais que la finalisation d’un grand plan (un grand complot) réfléchi de longue date. Que tout cela traduirait une volonté monstrueuse, contre vous, pour vous asservir et que s’ils n’ont pas inventé le covid, à minima ils s’en sont frottés les mains. Pas si simple. Car au risque de décevoir ceux qui voudraient faire l’économie d’une analyse quelque peu nuancée et ranger sans un regard en arrière ce que j’essaie de démontrer dans la poubelle du complotisme, je ne crois pas que l’existence du covid ait à voir avec une quelconque volonté. L’apparition et la diffusion du virus j’entends. Je ne crois pas plus que les puissants du monde entier s’en sont réjouis en y voyant l’occasion rêvée de mettre en place un régime oppressif dont les détails auraient été peaufinés de longue date.
Par contre, je crois à ce Barbara Stiegler appelle les effets d’aubaines, c’est à dire utiliser à leur avantage un régime d’exception politique et social pour imposer des décisions qui auraient été pour le moins difficiles à faire avaler et accepter dans un autre contexte, où il aurait fallu expliquer, transiger, faire des concessions et peut être même abandonner devant une résistance trop acharnée dans la rue. Je crois également que la gestion et les décisions qui ont été prises, qu’on vous a présenté dans l’urgence toujours renouvelée comme indispensables et allant de soi, car les seules possibles, cachent en fait un arbre de possibilité infinies qui auraient pu advenir. Contrairement à ce que vous a dit, on aurait pu faire autrement. De milles façons différentes. Et que la méthode choisie obéit, encore une fois, à des hypothèses de travail sélectionnées contre d’autres, à une vision particulière de ce qu’est la vie en société et les besoins de l’individu en tant qu’être social. Et que le cadre qui a été choisi pour traiter le problème, s’il en vaut bien au autre, vient de loin.
Partant de l’hypothèse scientifiquement et objectivement correcte que la contamination était dû à une proximité des corps, il a été décidé que vous deviez réduire à zéro votre vie sociale mais que vous deviez continuer à vous entasser les uns sur les autres dans les transports pour aller travailler. L’occupation que vous faites de votre « temps libre » a été on ne peut plus strictement surveillée, encadrée, et largement réprimée mais il n’était pas question que vous n’alliez pas bosser pour faire fonctionner la machine productive. D’ailleurs, rappelons à toute fin utile que sur ce terrain, nous sommes parvenu à l’absurde. A ceux qui voulurent exercer un droit de retrait en vertu du danger potentiel qu’il y avait à risquer la contamination au travail, fut opposé un cinglant rappel à l’ordre de la ministre du travail, qui expliqua le plus sérieusement du monde qu’on ne s’y contaminait pas. En d’autres termes, la situation était à ce point critique qu’on pouvait abolir l’entièreté de vos droits individuels, mais, par un tour de magie salutaire, elle ne s’appliquait plus au travail.
Cette compartimentation en deux temps distincts, qu’est celui du travail et celui hors du travail, traités de façon drastiquement opposée, fut bien un choix politique, le virus ne faisant selon toute hypothèse aucune différence entre la proximité des corps dans et en dehors du cadre professionnel. On aurait pu faire l’inverse, et pourquoi pas ? Est-il si difficile d’imaginer une refonte exceptionnelle de l’organisation du temps de travail en regard de l’arsenal effectivement déployé pour fliquer et contrôler l’entièreté de la population ? Même lorsque la ministre du travail admit que la situation imposait peut être de recourir au télé-travail, ne pouvant plus, par la seule force de sa volonté et ses vitupérations constantes contre ces feignants de fonctionnaires voulant user de leur droit de retrait, cacher que si, en fait il existait bien des foyers de contamination en milieu professionnel, elle invita les entreprises à se saisir de ce type de solution, sans moyens coercitifs législatifs particuliers.
Etrange, car je ne me souviens pas avoir été invité à resté chez moi, plutôt criminalisé de foutre un pied dehors. L’opprobre, la culpabilité et l’amende pour moi, l’invitation polie pour le chef d’entreprise, donc. C’est qu’il ne faudrait pas oublier que là où la police compte une bonne centaines de milliers de représentants diligents, l’inspection du travail n’aligne péniblement que dans les 2000 membres, sans cesse en diminution sur les dernières années.
A un état de fait de long terme, qui veut qu’on a sans cesse diminué les moyens alloués au contrôle des conditions de travail (et ceux de la police en parallèle, il est vrai), s’ajoutait une conception précise de l’être humain socialisé, elle même pas très neuve. Nous ne sommes, avant tout, que les rouages interchangeables d’une machine productive. Vous n’êtes pour nos gouvernants que des unités de travail, qu’il convient d’utiliser au mieux, dans l’intérêt de la sacro sainte « économie » qu’on ne saurait même plus se donner la peine de définir tant elle va de soi. Vous êtes de la ressource humaine. Si, depuis que le chômage de masse existe et ne fait structurellement que croître dans les lamentations hypocrites de ceux qui font semblant de s’acharner à le résorber, il ne saurait plus y avoir de « droit » au travail, en revanche, il en existe un « devoir ». Vous n’avez de valeur, en tant qu’être humain, que dans la mesure où vous pouvez travailler. Et c’est, me semble t-il, la plus importante leçon (mais heureusement pas la seule, nous y viendrons) que nous pouvons retenir de la gestion de la crise sanitaire par notre gouvernement libéral.
Bien entendu, lorsque tout va bien, il n’y aurait aucune plus-value à vous empêcher de vivre hors du travail, et de vous reconnaître des droits et pourquoi pas même une liberté en dehors de ce cadre. Autant par humanisme que par intérêt bien compris d’ailleurs. Car il a enfin été admis (cela est relativement récent, et n’a été arraché que par une lutte sociale acharnée) que la productivité du travailleur est liée au moins en partie à son bien être et à un certain épanouissement personnel. Les deux compartiments concordent, que demande le peuple ? Soit dit entre parenthèses, par un effet pervers qui n’étonnera personne, on a vu depuis quelques années des discours fleurirent, vous expliquant que finalement, ce bien être et cet épanouissement personnel devaient être cherchés précisément dans le travail, dans une fusion admirable et bien pratique des deux compartiments. Ainsi de la généralisation du travail précaire, pardon, « flexibilisé ». Il est mal venu de venir cracher dans la soupe si vous avez la « chance » d’avoir un emploi, fût-il le plus minable et exercé dans les conditions les plus dégradantes qui soient. De quoi vous plaigniez vous, vous à qui on offre la possibilité de vous accomplir dans le travail ? Regardez les économistes de plateau et divers éditorialistes, qui eux font preuve de dignité, proclamer partout qu’ils seront ravis de bosser jusqu’à 70 ans. Fin de la parenthèse, que vous pourrez rouvrir en lisant l’ouvrage « Bullshit Jobs » de David Graeber, si le cœur vous en dit.
Par contre, que survienne une catastrophe suffisamment importante pour déstabiliser l’admirable organisation du travail à l’œuvre, et on vous renverra sans état d’âme à votre composante essentielle. Qui est comprise toute entière, comme je l’ai dit, dans votre capacité à vous tuer au travail, à faire tourner la machine productive, encore et encore. Votre composante sociale, faite d’interactions choisies avec d’autres individus, le bonheur que vous avez à mener à bien un projet personnel, sous des formes aussi diverses que variées et pas nécessairement lucratives (c’est d’ailleurs bien le problème), le temps investi à interagir avec le monde de milles et unes façons qui vous sont personnelles, et même intimes, qui ne rapporte rien à personne hormis à la construction de votre être, tout cela n’est finalement pas « essentiel ». Et le mot est choisi à dessein, puisqu’on a vu notre premier ministre pousser le mépris et la négation de notre humanité à un point difficilement concevable, décidant unilatéralement et sur des fondements jamais justifiés (mais n’oubliez pas que vous n’êtes que des enfants débiles) ce qui était essentiel pour vivre de ce qui ne l’était pas. Essentiel pour quoi ? Essentiel pour qui ?
Il n’était donc plus essentiel pour un individu isolé de force pendant de longs mois d’avoir accès à la réflexion collective de ses congénères par le biais du livre, d’échapper à un quotidient toujours plus anxiogène et limité en se procurant un jeu vidéo, de la musique ou des films. Il n’était plus nécessaire à une personne trouvant son réconfort dans l’effort manuel de se procurer les outils. Il va de soi que je serais bien incapable de coucher noir sur blanc toutes les occupations et cas de figures possibles, tant ceux ci peuvent recouvrir une infinité de réalités dépendant de la construction intime de chacun, et dont, par respect le plus élémentaire pour mon voisin, je me garderai bien de juger la pertinence. Mais de façon hallucinante, notre premier ministre, lui, savait. Il savait de quoi vous aviez besoin pour vivre, pour survivre plutôt. Et disons le franchement, il ne restait plus grand-chose.
Il est vrai que par cette entreprise abjecte d’une norme évacuant tout particularisme personnel, toute aspiration individuelle, et qui définissait une bonne fois pour toute ce que devait être le citoyen, le loup ne faisait que sortir du bois, paradant, sûr de son bon droit. Car finalement, l’assignement initial à résidence du confinement n’était en cela que le début du travail. On niait qu’il fût essentiel, contre tout bon sens, que l’équilibre mental se nourrisse de relations humaines. Que le processus de deuil, pour se faire, nécessite qu’on dise au revoir au mourant. Que la marche en extérieur soit un contrepoint salutaire et nécessaire à un mode de vie sédentaire. En somme, que la dignité de soi passe par la capacité à poser des actions de façon libre.
Vous n’êtes rien pour eux. Votre humanité est négligeable à leurs yeux. Le tumulte de passions, d’aspirations contradictoires, de petits bonheurs qui font que votre vie a un sens, intimement, pour vous, et qui peut être vous font lever le matin en considérant que la journée vaudra la peine d’être vécue, n’est littéralement rien en regard de votre statut de machine laborieuse.
Ils ont choisis, pour vous, contre vous, ce à quoi vous pouviez prétendre en tant qu’être humain. Vous avez été traités comme des enfants.
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